Serment du roi
« Cette décision est finale et sans appel… »
Paru le vendredi 02 décembre 2022 | Catégorie: Députés et ministres
(R.I) La présidente de l’Assemblée nationale, Nathalie Roy, a rendu sa décision hier sur l’obligation pour les parlementaires de prêter le serment au roi pour siéger :
« Je dépose maintenant la décision rendue en privé le 1ᵉʳ novembre dernier par le président Paradis dans l'exercice de ses fonctions au sujet de la prestation du serment d'allégeance au roi en vertu de l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je profite d'ailleurs de l'occasion pour affirmer que je souscris entièrement à cette décision et que j'entends la faire appliquer. Laissez-moi maintenant vous expliquer pourquoi.
Les décisions de la présidence sont rendues par les membres de la présidence en toute indépendance, dans le cadre de leurs fonctions, dans le but de veiller au bon fonctionnement de l'institution qu'ils servent et l'ensemble des députés qui la composent. Je souhaite aussi préciser, s'il s'avère nécessaire de le faire, que les décisions rendues par les députés qui occupent le poste de président ou de vice-président de l'Assemblée ne le sont pas à titre personnel ou pour donner suite à une quelconque commande.
Je souligne que la décision de mon prédécesseur ne fait pas exception à ces principes. Quant au contexte particulier dans lequel il a eu à le faire, je rappelle que rendre une décision en privé, ce qu'on appelle «private ruling», s'avérait être la seule option afin que personne ne soit surpris ou pris par surprise et que tous sachent à quoi s'en tenir pour l'ouverture de la première session de la 43 ᵉ législature, en attendant, qu'un député soit élu au poste de président.
J'aimerais maintenant clarifier certains points, certains points qui entourent cette décision sur la nécessité de prêter le serment d'allégeance et les conséquences de ne pas le faire. Il importe tout d'abord de distinguer deux choses, soit le débat politique sur la question et l'état juridique actuel.
Ainsi, si l'on peut débattre de l'opportunité d'abolir ou de rendre facultatif le serment au roi, une question fort légitime et avec laquelle on peut être d'accord ou en désaccord, force est de constater que le droit parlementaire actuel fait en sorte que tout député doit prêter le serment d'allégeance afin de pouvoir participer aux travaux parlementaires. Il ne s'agit pas, là, d'une question d'opinion, mais bien de l'état du droit.
À cet égard, rappelons que le principe de la primauté du droit est fondamental. Il ne revient pas à la présidence de changer cette règle. Ce rôle, il vous appartient à vous, députés, en tant que législateurs qui avez été élus par la population du Québec. Et je me rappelle, c'est ce que je vous disais, pas plus tard qu'avant-hier, lors de mon discours
Quant à la manière d'y arriver, plusieurs choses se sont dites, plusieurs choses se sont écrites.
Sur la question de savoir si une motion serait suffisante pour rendre facultatif le serment au souverain, je rappellerai le principe voulant qu'on ne peut, par motion ou par consentement unanime, déroger à une disposition législative. En effet, les dispositions législatives applicables à la procédure parlementaire ont préséance sur toute autre règle de procédure interne. L'Assemblée nationale ne peut y déroger, que ce soit par consentement unanime ou par motion. Autrement dit, on ne peut pas, par motion, déroger à une loi.
À ce sujet, dans une directive rendue en 1996 concernant l'application de la loi sur l'imputabilité des sous-ministres et des dirigeants d'organismes publics, le président, Jean-Pierre Charbonneau, s'exprimait ainsi, et je le cite : « Nous le savons tous, l'Assemblée peut déroger de consentement unanime aux règles qu'elle se donne elle-même et qui sont consignées dans son règlement et ses règles de fonctionnement. Elle ne peut toutefois déroger à celle de ses règles de procédure, qui sont codifiées dans une loi, puisqu'une loi est un acte du Parlement dans son ensemble. Par conséquent, une modification législative serait nécessaire pour soustraire quiconque aux obligations prévues par la loi.» Fin de la citation.
C'est d'ailleurs pour cette même raison que l'Assemblée nationale, par exemple, ne peut déroger, par simple motion ou de consentement, à l'article 8 de la Loi sur l'Assemblée nationale, qui prévoit le quorum nécessaire pour que l'Assemblée puisse fonctionner. Si cela est vrai pour toute disposition législative, il ne saurait en être autrement pour l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Ainsi, pour toute motion qui viserait par ces effets à contourner l'application de cet article, toute motion serait déclarée irrecevable. En effet, l'article 193 de notre règlement prévoit que le président de l'Assemblée doit refuser tout préavis ou toute motion contraire au règlement.
Dans leur ouvrage de Droit constitutionnel, les auteurs Brun, Tremblay et Brouillet donnent d'ailleurs explicitement un exemple à ce sujet et, leur exemple, c'est l'obligation pour les députés de prêter le serment d'allégeance. J'aimerais citer le passage suivant qui se retrouve non seulement dans la sixième et dernière édition de leur ouvrage de référence Droit constitutionnel, publié en 2014, mais aussi dans d'autres éditions précédentes, avant donc la politisation de ces débats.
Et l'extrait se lit comme suit, je vous le cite : «l'Assemblée nationale ne peut contredire le droit de source législative. Par exemple, elle ne pourrait, par elle seule, tacitement ou explicitement, faire disparaître l'obligation pour les députés de prêter, avant de pouvoir siéger, le serment d'allégeance à la règle. Pour atteindre ce but, dans l'hypothèse où une modification constitutionnelle complexe ne serait pas requise, il faudrait au minimum une loi du Parlement québécois qui modifierait, en ce qui regarde le Québec, l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867.» Fin de la citation.
En résumé, les auteurs Brun, Tremblay et Brouillet concluent que, dans l'hypothèse où une modification constitutionnelle complexe n'est pas requise, une simple motion ne peut faire disparaître l'obligation de prêter le serment d'allégeance et qu'il faut, au minimum, une loi du Parlement pour ce faire ou, autrement dit, un acte du Parlement. J'en viens à la même conclusion.
Voici donc mes constats. Premièrement, le droit actuel prévoit que les députés doivent prêter le serment d'allégeance pour siéger. Deuxièmement, la présidence ne peut changer l'état du droit, pas plus qu'elle ne peut choisir de dispenser les députés de l'application de la loi. Troisièmement, une motion ne peut avoir pour effet de déroger à l'obligation de prêter le serment d'allégeance, enchâssé dans une disposition législative constitutionnelle de surcroît.
Quatrièmement, dans l'hypothèse où une modification constitutionnelle complexe n'est pas requise, au minimum, une loi est nécessaire pour que l'Assemblée nationale modifie l'obligation de prêter le serment d'allégeance.
Et, quant à la possibilité de laisser siéger des députés qui n'ont pas prêté le serment, en attendant qu'une loi rendant facultatif ce serment et ayant un effet rétroactif au 29 novembre 2022 soit adoptée, je crois qu'elle est hautement questionnable et voici pourquoi.
Je vous rappelle que notre jurisprudence parlementaire a, de tout temps, reconnu que le fait de se prévaloir d'une disposition législative non encore adoptée pouvait constituer un outrage au Parlement. Il serait pour le moins hasardeux se comporter autrement ici même, allant ainsi à l'encontre de notre longue jurisprudence à ce sujet.
Pour toutes ces raisons, je réitère que les députés, qui n'ont pas prêté le serment d'allégeance prévu par l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867, ne pourront pas prendre part aux travaux de l'Assemblée et de ses commissions parlementaires.
Cette décision est finale et sans appel et ne peut, conformément à l'article 41 de notre règlement, être remise en question. En terminant, je souhaite que la présente décision mette un terme au débat sur les conséquences de ne pas prêter le serment d'allégeance et que les députés qui ont choisi de ne pas le prêter se gouvernent en conséquence. Merci de votre attention. »
(Extrait intégral des travaux de l'Assemblée nationale, 1er décembre 2022)
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